Mutations incertaines de l’économie

http://www.monde-diplomatique.fr/2004/10/SI_ZOUBIR/11558

En 2004, la Chine devrait connaître une progression du produit intérieur brut (PIB) comprise entre 8 % et 9 %. Elle est devenue la première destinataire mondiale des investissements directs étrangers, qui pourraient atteindre, toujours en 2004, le seuil historique des 70 milliards de dollars. Troisième importateur (1) et quatrième exportateur dans le monde, elle a tiré vers le haut la croissance mondiale.

On en parle volontiers comme de l’« atelier du monde », fabriquant des produits bas de gamme. Or, comme le relève Patrick Artus, responsable de la recherche économique chez CDC Ixis Capital Markets, « la Chine devient un producteur compétitif et de qualité dans un nombre de plus en plus élevé d’industries : textile, jouets, acier, construction navale, mais aussi électronique, électroménager, métallurgie, biens d’équipement et, dans le futur, automobile, espace, meubles. La croissance de la production industrielle est particulièrement forte pour l’informatique et l’électronique, l’acier et l’automobile (2) ».

La Chine est-elle pour autant responsable de la destruction de milliers d’emplois en Occident ? « C’est vrai qu’elle attire les délocalisations », reconnaît l’économiste américain Jeremy Rifkin, pour qui l’économie chinoise emprunte les mêmes chemins que ses homologues occidentales. « Mais elle détruit aussi des emplois industriels, rappelle-t-il, et encore plus vite que n’importe quel pays. » Entre 1995 et 2002, son industrie a perdu 15 millions d’emplois, soit 15 % de sa main-d’œuvre de production.

Par ailleurs, sans minimiser la vigueur de l’économie, nombre d’observateurs émettent des doutes sur la fiabilité des statistiques officielles. Selon eux, la croissance du PIB aurait été surestimée entre 1997 et 2002, de manière à ne pas décourager les investisseurs étrangers, et sous-estimée depuis 2003 de manière à accréditer la thèse d’un ralentissement maîtrisé de l’économie. Les interrogations portent aussi sur l’importance de créances douteuses détenues par les banques locales : une menace sérieuse pour la stabilité de l’économie. Pékin affirme que celles-ci représentent moins de 10 % de l’ensemble des créances, alors que les banques d’affaires occidentales les estiment à 30 %, voire à plus de 50 %. En fait, « le manque de transparence généralisé continue à entourer l’économie (3) », explique le journaliste Michel de Grandi. Plusieurs scandales ont déjà ébranlé les Bourses de Shanghaï et de Shenzhen, notamment celui de l’assureur China Life, dont la maison mère a reconnu un trou de 700 millions de dollars dans sa comptabilité. Preuve que la Chine est loin d’être à l’abri des errements du capitalisme mondialisé, un nombre croissant de sociétés nationales sont désormais enregistrées dans des paradis fiscaux comme les îles Vierges ou les îles Caïman.

Autre question abordée par les économistes, anglo-saxons notamment : la parité entre le renmimbi (yuan) et le dollar. Depuis le milieu des années 1990, un dollar vaut 8,28 yuans. Pour les Etats-Unis, cette parité fixe sous-évalue la valeur du yuan et, par conséquent, offre une meilleure compétitivité au made in China au détriment des produits américains. Le déficit commercial entre les deux pays (près de 125 milliards de dollars en faveur de la Chine) viendrait essentiellement de cette sous-évaluation. D’où des pressions récurrentes sur le gouvernement chinois pour qu’il réévalue sa monnaie. Ces gesticulations de Washington masquent l’incapacité de l’économie américaine à rivaliser, dans certains secteurs, avec sa concurrente chinoise, et le penchant du pays à vivre au-dessus de ses moyens. Car, pour financer leur déficit extérieur, les Etats-Unis s’endettent en émettant des titres que la banque centrale chinoise et ses homologues asiatiques achètent. Et, pour entretenir la consommation interne, ils importent les produits chinois à bon marché...

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